Ceci est un épisode d’Un Voyage d’Hiver, une newsletter éphémère pour aller marcher sur la GTJ avec Schubert et des röstis. Si vous avez raté le début, ça a commencé ici.
Chaque épisode s’ouvrira sur l’un des 24 lieder du Voyage d’Hiver de Schubert. Voici donc le lied du jour.
Lied #4 - Engourdissement (Erstarrung)
Penché sur le sol, il cherche. Quoi donc ? Les traces de sa romance passée. Mais la neige a tout enseveli. Que reste-t-il sous les cendres blanches ? Une fleur ? Un brin d’herbe ? Faut-il préférer le gel et ses souvenirs cryogénisés à la réalité ?
Audio : version de Dietrich Fischer-Dieskau et Jorg Demus, 1964
Pour écouter/regarder la version sous-titrée, c’est ici.
Voilà ce qui arrive quand on cède à la facilité de l’hospitalité ubérisée : la journée commence par des adieux déchirants avec… une boîte à clés. On ne m’y reprendra pas. Ce soir, je dormirai Chez Liadet, sur les hauteurs de Mouthe – un vrai refuge de montagne et étape incontournable des “GTJistes”.
En attendant, voici le menu du jour :
-un bon bain de forêt (je marcherai environ 20/25km dans les sous-bois) et donc une copieuse dose de waldeinsamkeit (la “solitude qu’on éprouve en se promenant seul dans un bois”, mot très populaire à l’époque de Schubert)
-le Mont d’Or, 1425m, gros morceau après mes petits Fourgs apéritifs de la veille.
Avant la marche, La Poste, où je passe soulager mon sac d’un livre terminé hier soir. Ici, 2023 a attendu un peu avant de pointer le bout de son nez. Le 1er est tombé un dimanche, le lundi est chômé : l’année commence le 3. Avec la guichetière, nous partageons une pensée pour le timbre rouge, disparu le 1er janvier. Désormais, la “lettre prioritaire” n’existe plus et, en matière de courrier, le domaine de l’urgence est réservé aux colis et autres irrépressibles besoins matériels. Les nouvelles des proches attendront. Sans doute une nouvelle preuve, comme le disait Eisenhower, que l’urgent l’emporte trop souvent sur l’important…
Sur le papier, le parcours du jour est alléchant. Une belle brochette de pauses-déjeuner potentielles s’étale sur la carte. Mais mes espoirs s’envolent en quelques coups de fils. Tous les restos du parcours sont (encore) fermés. Je rejoins la trace de la GTJ après avoir attrapé une quiche à la boulangerie. Ce matin, la brume qui jette un voile pudique sur les barres bétonnées de Métabief cache aussi le sommet du Mont d’Or. 500 mètres de D+ pour une vue imprenable sur cette purée de pois ? Ça me paraît un peu cher payé…. Je délaisse les piquets jaune fluo de la GTJ raquettes pour suivre la GTJ ski de fond qui évite le sommet et contourne le Mont d’Or par le bas.
Sur la route, face à un paysage particulier ou une curiosité, une pause s’impose. Le périple sera donc marqué de quelques interludes qui se pencheront sur des points marquants.
Le Mont d’Or
Ah, le Mont d’Or. Toit du Haut-Doubs, beau bestiau 1425m au garrot, aussi réputé pour sa vue sur le Mont Blanc que pour son fromage à déguster à la cuillère en “boîte chaude”. Mais les pentes raides de son versant nord (son ubac, par opposition à l’adret) sont à double tranchant. D’un côté, le Mont d’Or a fait de Métabief l’une des stations de ski alpin les plus courues de la région. De l’autre, elle l’a transformé en un malencontreux copié-collé de station alpine. Métabief est une station chère, pas très jolie, et ce n’est pas pour rien que les itinéraires de la GTJ évitent d’y faire étape…
En contournant le Mont d’Or, la GTJ ski de fond coupe par les champs plutôt que de monter dans la forêt. Et c’est précisément toute la beauté de ce tracé : il fonce droit à travers les grandes étendues enneigées. Sauf qu’il a plu toute la nuit. En l’absence de neige, le parcours n’est qu’une pataugeoire géante – c’est la GTJ option Verdun. Mes bottes, déjà pleines de questions, s’alourdissent de beaux paquets de gadoue. Suivre une piste de ski de fond sans neige, quelle drôle d’idée…
Que reste-t-il quand la neige fond ? Dans ce quatrième lied, Schubert se pose la question qui travaille tous les hébergeurs de moyenne montagne, que ce soit dans le Jura ou dans les Alpes.
“Dans mon coeur glacé, sa froide image est prise.
Mais que mon coeur se réchauffe, et ses traits se perdront”.
Pour le protagoniste, la neige est un sarcophage qui préserve les souvenirs du passé. Qu’arrivera-t-il quand la neige aura disparu ? Cette année, les glaciers suisses ont perdu 6 % de leur surface. Les immeubles de Métabief seront-ils les bunkers abandonnés de la guerre perdue d’avance contre le réchauffement climatique ?
Sur la route, il faut se nourrir pour continuer à avancer. Les pauses ravito seront l’occasion de déguster quelques délicieux lieder de Schubert.
La fusion piano/voix (2/2)
Dans ce quatrième lied, le piano prend littéralement son envol. Les deux premiers lieder du Voyage d’Hiver regardent en arrière (le premier vers l’ancien amour, le deuxième vers la maison). Le troisième est statique : moment d’introspection où le protagoniste établit sa connexion avec la Nature. Désormais, la fuite en avant peut commencer. Ce quatrième lied est une course effrénée où le piano emprunte ses propres chemins de traverse sans se contenter de suivre le chanteur. Exemple :
Qui, du piano ou du chant, est le plus important dans le Voyage d’Hiver ? Les spécialistes disent parfois que quand on découvre l’oeuvre, on prête d’abord 70 % de son attention au chanteur et 30 % au piano. Puis, les écoutes passant, ce rapport s’équilibre, voire s’inverse. Car le piano peut, parfois même davantage que le chanteur, transformer l’interprétation de la pièce. On en reparlera…
Voilà 4 heures que je marche sans rencontrer personne. De la waldensamkeit en veux-tu, en voilà. Je finis par croiser un “barbûcheron” en quad (oui, il était doté d’une superbe pilosité faciale). J’atteins enfin le restaurant d’alpage de la Boissaude. Seul signe de vie, les hurlements de chiens de traîneau dont l’écho rebondit dans les combes jurassiennes comme un snowboarder dans un half-pipe.
Je poursuis jusqu’aux Granges Raguin – un autre haut-lieu du ski de fond réduit à l’état de parking désert. Même la salle hors-sac est fermée. Je casse la croûte dehors et constate que les températures ont fraîchi. C’est normal, j’approche de Mouthe, réputé village le plus froid de France, et souvent surnommé “la Petite Sibérie”.
C’est là que j’arriverai cet après-midi… et dans le prochain épisode.
Quel bonheur de lire Voyage d’hiver au reveil !!!
Pour un habitant du Haut-Jura, ce récit-parcours est plus vrai que nature ! et si bien raconté.
😁