Ceci est un épisode d’Un Voyage d’Hiver, une newsletter éphémère pour aller marcher sur la GTJ avec Schubert et des röstis. Si vous avez raté le début, ça a commencé ici.
Chaque épisode s’ouvrira sur l’un des 24 lieder du Voyage d’Hiver de Schubert. Voici donc le lied du jour.
Lied #11 - Rêve de printemps (Frühlingstraum)
Il rêvait de bouquets, de prairies, de chants d’oiseaux. Mais au cri du coq, il s’est réveillé dans le noir et dans le froid. Ces fleurs qu’il croyait voir, ce sont celles que le gel a dessiné à la fenêtre.
Audio : version de Dietrich Fischer-Dieskau et Jorg Demus, 1964
Pour écouter/regarder la version sous-titrée, c’est ici.
Réveil du jeudi 5 janvier : il pleut. Déjà quatre jours que le ciel douche invariablement les feux-espoirs allumés en moi la veille par une météo trop optimiste. Lundi après-midi, le soleil a disparu derrière la crête du Vourbey et depuis, je marche à l’ombre.
Je relis mon carnet en attendant le petit déjeuner. Première infraction constatée : un refus d’obstacle sur la haie numéro 2023. Je réalise que j’ai systématiquement daté les entrées de mon cahier en décembre… alors qu’on est en janvier.
Je rattrape les dates perdues jusqu’à mes notes de la veille. Dans la pénombre du dortoir, ma plume a perdu le fil des pages : j’ai écrit entre les lignes. Ai-je essayé de confier au papier des choses que je n’ose pas m’avouer ? Si un lecteur peut lire entre les lignes, est-ce qu’un auteur peut s’adresser à lui-même des messages cryptés ?
Note de l’aut(eur)o-promo : outre les mots couverts, les mots croisés sont une autre des cordes à ma harpe, j’en ai conçu 243 grilles ici.
L’heure du départ. Je quitte la salle commune dans un grand salut à la cantonade. Au programme du jour, une balnéothérapie trois étoiles :
douche extérieure parfum épines de sapin,
(brum)hammam à la température modérée de +3°c
bains de boue 100% bio pour les pieds.
Et dire qu’il y en a qui payent pour ça…
L’haleine humide de la forêt m’embrume l’esprit. Je manque un croisement et arrive au parking vide (déjà vu ?) de la porte des Combettes, entrée du domaine nordique du Risoux. C’est là que j’ai débarqué, un beau matin de décembre 2008, avec des skis fraîchement reçus à Noël pour ma première journée de ski de fond. Un peu interloqué (“T’en as vraiment jamais fait ??”), le conducteur qui m’avait pris en stop avait bien essayé de me rassurer : “Non mais tu verras, c’est comme le roller”. Sur le principe, oui. Dans la pratique…
La pluie s’intensifie. En descendant à Bois d’Amont, je fais étape à la salle hors-sac qui n’est ni vraiment fermée, et ni vraiment ouverte. Une Sainte-Pierrette m’ouvre les portes de ce paradiski nordique aux meubles en épicéa. Je laisse un peu sécher mes affaires, lis quelques pages, casse la croûte d’une barre chocolatée. Dehors, un colvert se prend pour un biathlète : il vole un tour de pénalité au-dessus du stade de Bois d’Amont avant de filer plein nord. De mon côté, je partirai vers l’ouest et la vallée de l’Orbe.
Sur la route, face à un paysage particulier ou une curiosité, une pause s’impose. Le périple sera donc marqué de quelques interludes qui se pencheront sur des points marquants.
Le lac des Rousses
Quand le froid est là, la traversée de la vallée de l’Orbe est superbe. On longe le lac gelé des Rousses, entre les massifs du Risoux et du Massacre. C’est ce fameux “bout du monde à la frontière suisse” qui, à ma première venue, ressemblait à ça :
Comme la matière, le paysage a lui aussi ses états. Liquide, solide, gazeux : de l’un à l’autre, la différence est extrême. Autant avec la neige, la vallée de l’Orbe est un grand océan praticable sur lequel on file en ski de fond ou en traineau. Autant sans la neige, c’est une autre histoire... Je ne file pas, je patauge.
Sur la route, il faut se nourrir pour continuer à avancer. Les pauses ravito seront l’occasion de déguster quelques délicieux lieder de Schubert.
Rêves d’ailleurs
Tandis que je rêve d’hiver (et de fromage fondu), le protagoniste du Voyage d’Hiver rêve de printemps et de bouquets garnis.
“Je rêvais de bouquets aux couleurs chatoyantes
Comme on en voit fleurir en mai
Je rêvais de prairies à l’heure verdoyante
Et du chant joyeux des oiseaux.”
Cette fois, l’illusion est vraiment piégeuse. Les fleurs de ses rêves sont bien là, sur le carreau de la fenêtre. Sauf que c’est le gel qui en a dessiné les pétales.
Attention, moment “so Schubert” : Schubert a comme personne l’art de rendre le mode majeur (traditionnellement gai) encore plus désespéré que le mode mineur (traditionnellement triste).
Ici, le mineur exprime certes la violence et la révolte :
Mais rien n’égale cette mélancolie majeure qui mêle si cruellement, comme la saudade, le plaisir du souvenir au désespoir de l’absence :
Petite infidélité à Schubert : le long du lac des Rousses, la GTJ n’est plus qu’une pataugeoire où je joue Le Gai Laboureur, célèbre morceau pour pianiste débutant de Schumann.
À chaque pas, il faut arracher la chaussure à la succion du sol. Ça devient lourd, et pas seulement dans les jambes. J’ai beau m’encourager à coup de “just gadoue it”, cette vallée est une sangsue qui aspire mes semelles et ma motivation. Seul plan B, la route nationale et ses transfrontaliers très pressés dans leur SUV à air conditionné. À 90 km/h, ils parcourront en 8 minutes les 8km que je mettrai 2h à traverser.
Je passe le temps (et les kilomètres) en jouant à saute-camions. La route est étroite, sans bas-côté. Entre les champs et l’asphalte, il n’y a qu’un fossé par dessus lequel je bondis dès qu’un engin arrive à toute berzingue sur la route détrempée. Je lève les yeux vers un panneau de lieu-dit : tiens, me voilà à la Bourbe.
Sans blague…
Épisode plein d'humour
Frissons rétrospectifs sur la nationale, ses camions et son absence de bas côté !
Super