Ceci est un épisode d’Un Voyage d’Hiver, une newsletter éphémère pour aller marcher sur la GTJ avec Schubert et des röstis. Si vous avez raté le début, ça a commencé ici.
Chaque épisode s’ouvrira sur l’un des 24 lieder du Voyage d’Hiver de Schubert. Voici donc le lied du jour.
Lied #18 - Matin de Tempête (Der Stürmische Morgen)
Dans le ciel, des éclairs rouges illuminent des lambeaux de nuages. Ce n’est plus un paysage mais une bataille napoléonienne ! Et évidemment, une fois encore, il se reconnaît dans cette étrange Berezina…
Audio : version de Dietrich Fischer-Dieskau et Jorg Demus, 1964
Pour écouter/regarder la version sous-titrée, c’est ici.
Bien sûr, il y avait l’humidité de la chambre, le linoléum pas top, un surprenant gazon synthétique sur le balcon, ou encore une douche croulante et entartrée. Mais pas de conclusion hâtive ! On est jamais à l’abri d’une bonne surprise. Sur le coup de 19h, c’est avec un optimisme teinté de circonspection que je me présente à la salle commune pour dîner.
Menu du soir : raclette. Ô joie ! Après la fondue de la veille, je rattrape enfin mes carences (hum) en lactose. Un caquelon douteux et zébré de profondes rayures atterrit sur ma table. Mon enthousiasme tiédit. À peine posées sous le grill, les tranches de fromage premier prix se liquéfient dans un bain de gras. Hum… Et ce n’est que la première couche : à la table voisine, un troupe de gais lurons entame une fondue bourguignonne. Le jeu des courants d’air dirige droit vers moi un épais nuage de graillons. Fini de tergiverser, l’odeur est trop forte. Fauve qui peut ! Cette raclette n’était pas le Graal, juste le gras. Je me replie, chevalier vaincu de la table immonde.
De retour dans ma chambre, il est trop tard pour rincer mes vêtements. J’ouvre grand la fenêtre pour m’aérer la tête et les narines. Une bise glaciale s’engouffre, suivie de près par les regrets à propos de mon choix d’étape. Je relativise : après tout, ce n’est pas la première fois que je mets le pied dans une bouse cette semaine...
Au lendemain, réveil bleu et vert. Il fait beau. Un tout jeune retraité m’aborde au petit-déjeuner. Accompagnant sa parole d’un éloquent geste de la main, il me demande ébahi si je connais beaucoup d’autres endroits “comme ici”. Je lui réponds très honnêtement : “pas tellement…”
Je reprends le sentier sous un ciel limpide. Après une petite heure à l’ombre des sapins, j’émerge en plein soleil, à l’extrémité nord-est de Bellecombe. Cette fois, le paysage est dégagé, le massif du crêt de la neige se dessine nettement dans le lointain. Le soleil ne me fera pas faux-bond.
Mais c’est souvent quand on s’y attend le moins que le piège se referme. Le scénario a les ingrédients d’un parfait Agatha Christie : destination idéale, cadre idyllique et traîtrise qu’on n’avait pas vu venir. La bise qui hier encore nettoyait mes habits se jette sur moi comme un labrador trop heureux de retrouver son maître. Elle me lèche le visage de sa langue glaciale et me couvre des poils de son manteau polaire. Malgré le soleil, je n’ai jamais eu aussi froid de tout mon parcours. Si ça ce n’est pas un comb(l)e…
Sur la route, face à un paysage particulier ou une curiosité, une pause s’impose. Le périple sera donc marqué de quelques interludes qui se pencheront sur des points marquants.
Le comble des combes
Ce vent si violent ne vient pas de n’importe où : il est accéléré par la combe, relief typique du Jura (et du Parc naturel régional à qui elles ont donné leur nom), et qui fait ici l’effet d’un entonnoir. De quoi s’agit-il exactement ? C’est, selon Wikipédia :
“une vallée creusée au sommet et dans l'axe d'un pli anticlinal.”
Define “anticlinal” ? Une déformation de la croûte terrestre qui crée un montagne. Et, sous l’action de l’érosion, la combe se creuse dans l’axe de ce pli. Mais c’est sans doute plus clair en image :
Concrètement, les combes donnent au paysage jurassien cet aspect de tôle ondulée si propice à la pratique du ski de fond… mais aussi aux forts vents.
Bellecombe porte donc bien son nom. Si la géographie locale offre une vue dégagée sur la grande plaine, revers de la médaille, on n’y trouve pas le moindre abri. Pire, l’endroit est un entonnoir géant qui dirige le vent glacé droit dans mon visage. Après les graillons, les glaçons.
Non mais franchement… Ce serait trop demander d’avoir un jour de beau temps ?
Sur la route, il faut se nourrir pour continuer à avancer. Les pauses ravito seront l’occasion de déguster quelques délicieux lieder de Schubert.
Bulletin météo
Si j’ai au moins un point commun avec Schubert, c’est peut-être celui-là : une passion pour la météo. Et le lied du jour ressemble précisément à un bulletin de prévisions un peu déprimantes, avec vents violents, éclairs, et nuages déchirés… bref, ça ne rigole pas du tout.
“Comme la neige a déchiré
Le manteau gris du ciel
Des lambeaux de nuages flottent
Ça et là dans un vain combat”
Chez les romantiques, le paysage est un miroir de l’âme. Mais ici, c’est peut-être plus précisément un rétroviseur. Car la violence dans laquelle notre marcheur se reconnaît appartient bien au passé :
“Mon cœur contemple dans le ciel
Sa propre image peinte
Il n’y a rien, rien que l’hiver
L’hiver froid et sauvage”
C’est sûr, ça réveille. Et c’est le but : à six lieder de la fin, Matin de Tempête est un coup de tonnerre. Avec seulement 52 secondes, c’est le lied le plus court du cycle, mais aussi le plus brutal. C’est le dernier coup de canon avant l’assaut final, la dernière révolte qui galvanise le public et l’interprète en récital… aussi bien que l’auteur de ces lignes.
Note : (auteur de ces lignes qui, il faut bien l’avouer, a un petit coup de moins bien avant la fin. N’hésitez pas à l’encourager en commentaires !)
La fusion personnage/paysage ? Très peu pour moi. Dans ce paysage de combles, ma comb(l)ativité est au plus bas. Vaguement abrité derrière un empilement de troncs, je prépare un thé sur mon réchaud. Le vent souffle si fort que je dois abriter la flamme de mon corps. J’essaie d’écrire dans mon carnet, mais mes doigts engourdis arrivent à peine à tenir le stylo… Pas très loin devant, l’auberge de La Guienette m’attend. J’en garde le souvenir ému d’un canard à l’orange cuit au foin.
Ou bien était-ce un connard cuit à l’orage ?
Voici bien un épisode (de plus) qui prouve que le Jura, ça se mérite 😉 ! ou bien est-ce aussi le fait qu'en itinérance, il n'y a pas le choix, il faut avancer quelles que soient les conditions ?
Une larme de nostalgie pour le canard au foin de notre François.
Allez ! On continue, Maxime, le plus Jurassien des adoptés !
Cet episode est super! Plein d’humour! Au top!