Ceci est un épisode d’Un Voyage d’Hiver, une newsletter éphémère pour aller marcher sur la GTJ avec Schubert et des röstis. Si vous avez raté le début, ça a commencé ici.
Chaque épisode s’ouvrira sur l’un des 24 lieder du Voyage d’Hiver de Schubert. Voici donc le lied du jour.
Lied #13 - La malle postale (Die Post)
Un cor qui sonne ? Le courrier ! Son cœur bondit dans sa poitrine. Et si elle lui avait écrit ? N’espère pas trop, l’ami…
Audio : version de Dietrich Fischer-Dieskau et Jorg Demus, 1964
Pour écouter/regarder la version sous-titrée, c’est ici.
Comment ça, “Pas d’arrivée avant 17h” ? Mais c’est que j’ai marché toute la journée sous la pluie, moi. Il est 16h, je suis fatigué, trempé et je ne rêve que d’une chose : sauter sous une douche chaude. On est où ici à la fin, à la Grenotte ? Ou à la grelotte ??
J’ai à peine le temps de fulminer que je redescends : alléluia, en fait, la porte est ouverte ! J’entre en lançant un “Bonjour !” sonore qui résonne dans la salle déserte. Installé à une table, je rumine mon envie de douche quand, derrière une porte “privée”, un téléphone sonne. On décroche. Une conversation s’engage à voix basse. Ah ! Je ne suis donc pas seul. Cinq minutes passent, le chuchotement s’interrompt. “Bonjour ?” Toujours rien. Un peu après, nouvelle sonnerie. Mêmes murmures. Plus hésitant : “Heu, y’a quelqu’un ?” Apparemment pas…
16h45, la porte s’ouvre. Je rencontre Isabelle qui, une fois sa sieste téléphonique terminée, est une adorable maîtresse des lieux. Elle me guide à travers un petit labyrinthe jusqu’à ma chambre du soir. De là, je bondis jusque sous la douche de l’autre côté du couloir. Miracle de back-Pâques : le pommeau nous ressuscite moi, mes chaussures et mon pantalon. Je revis. Enfin sec, je descends poursuivre mon orgie de chaleur en bouquinant au coin du feu.
À nouveau, le téléphone sonne. À chaque appel, Isabelle rejoint son combiné (nordique) avec un calme olympien (et non pas olympique). Elle se déplace à pas très lents, dans une absence totale de précipitation. J’imagine que ses interlocuteurs ne s’en formalisent pas, ils savent que les maisons sont grandes dans le Jura.
Je réalise qu’aux yeux de l’urbain pressé et sur-connecté que je suis, cet usage du téléphone paraît d’un autre temps – d’un temps où le téléphone ne sonnait pas seulement pour les opérateurs mobile ou les formations CPF. Dans mon quotidien, les communications sont devenues instrumentales : j’écris pour, à propos de, en réponse à. Toujours avec un objectif ou une demande précise. Mes échanges ont perdu le goût de l’errance.
Car après tout, pourquoi se donner le mal de prendre des nouvelles quand on nous en donne en permanence ? Nos fils (Instagram) et nos boucles (Whatsapp) tricotent les mailles d’une toile sur laquelle chacun projette une vie en Technicolor. Et l’on fait semblant d’oublier que, sur cette toile comme sur les écrans, on fait tous notre cinéma…
Au contraire, pas le moindre cinéma hollywoodien dans les appels d’Isabelle, que j’écoute d’une oreille très indiscrète. Je m’immisce dans les coulisses d’une intimité où le silence est bienvenu. Où les conversations n’ont pas d’ordre du jour. Où l’on s’appelle pour parler – pas forcément parce qu’on a quelque chose à dire. Où la pensée est libre de se balader.
Un peu plus tôt dans la journée, j’admirais l’étalement de la campagne alentour. Je m’aperçois ce soir que, dans ces terres si peu densément peuplées, la sociabilité tient à un fil – celui du téléphone.
Sur la route, il faut se nourrir pour continuer à avancer. Les pauses ravito seront l’occasion de déguster quelques délicieux lieder de Schubert.
Facteur, fais-moi malle
À l’époque de Schubert, la sociabilité ne tient pas à un fil, mais une malle : celle du courrier.
Die Post est le sixième poème du recueil de Wilhelm Müller. Mais quand Schubert découvre la deuxième moitié des lieder (voir épisode précédent), il décide de le déplacer en 13e position pour en faire un nouveau départ après la parenthèse bien dépressive de Solitude (Einsamkeit).
Ici, notre promeneur solitaire est tiré de sa rumination non par le téléphone (comme moi), mais par le trot alerte de l’attelage postal :
Sur le front de la solitude, les nouvelles de l’arrière sont toujours guettées avec espoir. Est-ce que j’aurai moi aussi du courrier ? Se pourrait-il que quelqu’un ait pensé à moi ?
Evidemment que non… “Keinen Brief für dich” – pas de courrier pour notre voyageur solitaire. Aïe, ça fait mal(le). Il pourra, dès le prochain lied, reprendre le fil de sa mélancolie.
Et le postillon de repartir dans un nouvel appel de cor. Gare ! Le courrier n’attend pas…
Ce qui n’attend pas non plus ? C’est le dîner à la Grenotte. À 19h, nous sommes trois attablés aux côtés d’Isabelle, autour (youhou !) d’une superbe fondue. Mes colocs du soir : un garçon et une fille d’un peu moins de trente ans, venus du Vercors et des Alpes du sud passer l’examen de pisteurs-secouristes nordiques (finançable, je l’apprends, par le CPF... Vivement le prochain appel ?). Avec ce diplôme, ils pourront compléter leurs activités de saisonniers.
Sujet autrement plus préoccupant pour eux que de perdre son croûton dans la fondue : la fonte de neige menace leur futur gagne-pain. À cette fondue-là, tout le monde a un gage, et surtout les pisteurs… La météo de cette semaine n’est pas pour les rassurer. Comment passer les épreuves pratiques (secourisme, traçage, balisage…) avec zéro neige ? Les prévisions annoncent un fort épisode neigeux pour lundi, juste après mon départ. L’examen est le lendemain. On croise les doigts. Dehors, le ciel est enfin dégagé, cristallin.
Est-ce qu’une bonne étoile fera tomber quelques flocons ?
Encore une fois super!